Mon nom ? Hum… j’ai du l’oublier. Mon âge ? Il est plus obscure encore, me semble t-il. Ma mémoire ? Mon passé ? Mes souvenirs ? Quels sont-ils, finalement ? J’ai bien peur d’être incapable de vous en apprendre beaucoup sur mon compte. Tout ce que je sais, c’est que le soleil brille. Où que je sois, quelle que soit l’époque qui me voit arborer cette triste allure, la chaleur persiste et me permet de dire une seule et unique chose : je vis.
Cette certitude, je la dois à cette nuit sans fin. L’assurance d’être vivant s’accroche parce qu’en dépit de l’absence de tous mes sens, je suis là, à vous parler. Avec vous, je m’exprime. Je communique. Mon corps est peut-être mort, finalement, mais mon esprit s’acharne. Il ne peut dépérir si facilement. Je le lui interdis. Alors dans ces conditions, immobile, instable, insignifiant, je m’adresse tout de même à vous qui m’écoutez et souhaite vous faire part de mon rêve…

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Cette ville, je la connais. Ce monde… il est le mien, très certainement. Je n’ai aucune preuve. Je n’ai pas la moindre chance de vous prouver mes dires. Pourtant, prêtez-moi l’oreille, quelques temps encore, et vous serez inexorablement convaincus. Car ce que je m’apprête à vous apprendre n’est pas un mensonge. Je n’ai ni la conscience suffisante pour le faire, ni l’intention de vous tromper. Croyez-moi.
Cet univers qui défile dans mes yeux, ou peut-être est-ce uniquement au cœur de mon imagination, est un soupçon d’espoir. Parce que je commence à comprendre ce que je suis et ce qu’il reste de moi, Meian m’apparaît tel la possibilité de survivre. À travers ces songes, ces fragments de pensées si réalistes qu’elles ne laissent pas un seul doute subsister lorsque je les regarde, je peux voir la vie de ces gens. Je les connais. Je les ai connu. Je ne m’en souviens pas, mais ils sont là. Ils sont vingt, trente, cinquante, voire une centaine peut-être. Mais leurs visages sont conformes à ce qu’ils ont été. Leur attitude, leur manière d’être, l’expression de toutes leurs émotions sont si fidèles à ce qu’elles étaient qu’il n’est pas permis d’être sceptique. Ils existent. En moi, en la folie de mon âme décharnée, tous ces êtres continuent de vivre leur vie. Ils sont dans ce monde que j’appelle vulgairement « ombre et lumière ». Ils sont coincés. Ils font de leur mieux pour continuer, pour s’occuper de la tâche qui leur a été confiée, mais… je crois qu’ils ne se rendent pas compte. Moi-même, je n’arrive à saisir pleinement la situation.
Tous ces gens qui ont traversé ma vie et vécu en un temps révolu depuis bien longtemps se trouvent là. Puisqu’il m’est impossible de faire autre chose, je les observe et les vois évoluer. Ils sont comme chez eux. Sans doute devrais-je tenter d’intervenir pour leur faire comprendre que tout cela ne sert à rien, qu’ils ont peut-être fini leur vie ou… qu’importe. Chaque évènement, maintenant, est le fruit de mes choix. Je suis tel le dieu de leur illusion. Rêve ou cauchemar ? Je ne sais s’il me faut porter un jugement. Evidemment, j’aimerais qu’ils m’aident et réalisent quel est mon état. Ils devraient voir que tout cela n’est qu’irréalité. Pourtant…

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Nous sommes en 2016. La Terre, berceau de l’humanité, a du être évacuée d’urgence pour cause d’instabilité climatique et radioactive. Sur les sept milliards que nous étions, seuls quelques centaines de millions ont survécu. Grâce aux avancés technologiques récentes, le grand Exode a pu être rendu possible. Si nous regrettons inévitablement la perte de tant d’individus de notre espèce, il est pourtant indéniable qu’il faille savourer la chance d’être encore en vie. Ainsi, nous vivons aujourd’hui en apesanteur. Prisonnier de nos innombrables vaisseaux de transport ou de colonisation, nous errons dans l’espace. C’est dans l’un de ceux-ci que se trouve celui que nous appelons habituellement « le rêveur ». Cet homme, tombé dans le coma depuis plusieurs mois maintenant, fait preuve d’une activité psychique incroyable. Nos meilleurs chercheurs se sont penché sur le sujet. Il semblerait que son esprit fonctionne à plein régime et stimule son imagination, pour dieu sait quelle raison. Tout le monde l’ignore. Mais les théories et hypothèses affluent. Il souffre probablement du syndrome d’isolement biologique. L’absence de la terre-mère a causé sa chute. Pourra t-il revenir de sa semi-mort, un jour ?